La pédagogie est une discipline qui n’a peut-être pas autant de place en France  que dans d’autres pays. 
La pédagogie est une discipline qui n’a peut-être pas autant de place en France  que dans d’autres pays. 
Il faut distinguer la pédagogie dans le cadre du développement, la pédagogie dans  la formation et la pédagogie au sein des institutions soignantes. Nous parlerons ici de la pédagogie dans le cadre du développement du bébé et du  jeune enfant. 
Il y a eu au 21ème siècle, deux grandes pédagogues : Emmi Pikler en Hongrie et  Maria Montessori en Italie. 
La première s’est surtout intéressée aux acquisitions du tout-petit de 0 à 3 ans, la  seconde aux apprentissages scolaires à partir de 3 ans. Toutes les deux tablent sur la part active du bébé ou de l’enfant en dépit de  l’immaturité fondamentale de l’enfant dans notre espèce humaine qui a pour nom  « la néoténie ».
o Quelques rappels sur la néoténie humaine
Le bébé humain est sans aucun doute le plus immature, à la naissance, de tous les  bébés mammifères. 
S. Freud l’avait souligné dès 1926, dans son livre Inhibition, symptôme et angoisse1,  dans lequel il fait remarquer que tout se passe un petit peu comme si, dans l’espèce  humaine – du fait, peut-être, des raisons mécaniques liées à l’accès à la station  bipède – la grossesse se trouvait, en quelque sorte, amputée d’un quatrième  trimestre ! 
Quoi qu’il en soit, il est clair que le nouveau-né humain, même à terme, est tout à  fait inachevé, et qu’il est beaucoup plus dépendant de son entourage que les bébés  des autres espèces mammifères (on sait, par exemple, que le petit poulain sait  marcher dès la naissance, ainsi que le petit veau, pour s’en tenir à ces deux  exemples bien connus). 
Cet inachèvement premier de l’être humain qui a pour nom la néoténie, rend le  bébé humain très fragile, vulnérable et environnement-dépendant. Pourtant, si cette caractéristique a été sélectionnée par l’évolution darwinienne,  c’est qu’elle comporte sans doute, aussi, quelques avantages et parmi ceux-ci, on  peut imaginer que cet inachèvement est source de diversité. 
Du fait de la grossesse relativement brève (écourtée ?) dans notre espèce, le bébé  humain se trouve être le seul de tous les bébés mammifères qui naisse alors même  que la construction de son cerveau n’est pas encore entièrement terminée. Certes, il y a eu pour lui une première phase très active de construction cérébrale  et de synaptogénèse2 qui lui a permis de mettre en place de manière séquentielle  ses différents appareils sensoriels, mais la deuxième grande phase d’organisation  cérébrale aura lieu après la naissance, et elle s’étendra même sur les trois ou quatre  premières années de la vie, si ce n’est plus. 
Autrement dit, la plus grande partie de la construction du cerveau humain  s’effectue à l’air libre, après la sortie du bébé du corps de la mère, contrairement  aux bébés des autres espèces mammifères qui naissent avec un cerveau pour ainsi  dire achevé et d’emblée opérationnel de manière assez autonome. 
Ceci n’est pas sans conséquence. 
En effet, il importe de rappeler que nous ne disposons de guère plus de gènes que  certains animaux assez primitifs comme la mouche, par exemple, soit 35.000 gènes  environ ! 
La grande différence entre la mouche et nous, êtres humains, c’est que la mouche  n’est que le produit de ses 35.000 gènes, alors qu’en ce qui nous concerne, nous  sommes, certes, le produit de nos 35.000 gènes mais aussi et peut-être surtout ?) de ce que l’on désigne aujourd’hui sous le terme d’épigénèse. 
L’épigénèse correspond à l’ensemble des mécanismes qui gouvernent l’expression  de notre génome. 
Notre génome est ce qu’il est et jusqu’à maintenant, avant l’ère des futures  thérapies géniques en tout cas, nous ne pouvons pas le modifier. En revanche, notre environnement semble susceptible de pouvoir influencer  l’expression de notre génome, c’est-à-dire de pouvoir activer, ou au contraire  inhiber, l’activité de certains gènes ou de certaines parties de nos chromosomes, et  initier certaines séquences d’expression génomique. 
Quoi qu’il en soit des mécanismes intimes de cette régulation qui passe peut-être  en partie par des processus dits de méthylation3, et dont l’exploration ne fait que  débuter, il est tout à fait possible de penser que cette influence de notre  environnement sur l’expression de nos gènes est quantitativement encore plus  importante que l’activité de ces gènes elle-même. 
Deux remarques s’imposent alors : d’une part, la fin de la construction du cerveau  humain s’effectuant au contact de l’environnement postnatal, l’épigénèse  cérébrale fait que chaque bébé humain va organiser son architecture cérébrale de manière différente et spécifique puisque chaque bébé naît dans un  environnement qui lui est particulier, et d’autre part, quand nous parlons  d’environnement, il faut probablement entendre ce terme au sens le plus large qui  soit, c’est-à-dire l’environnement biologique, alimentaire, écologique, socio 
culturel mais aussi, bien entendu, relationnel. 
On voit donc que l’épigénèse cérébrale, avec son corollaire obligé qui est celui de  « plasticité neuronale » (F. Ansermet et P. Magistretti4), est aujourd’hui la clef qui  nous permet de commencer à mieux comprendre l’origine de la stupéfiante  diversité qui règne au sein de l’espèce humaine, sans doute beaucoup moins  prisonnière de son génome que ne peuvent l’être l’amibe ou les organismes pauci 
cellulaires par exemple (F. Jacob5). 
L’étude de l’épigénèse en général, et celle de l’épigénèse cérébrale en particulier,  va certainement ouvrir une nouvelle page de la biologie humaine, car en nous  éclairant sur les liens dialectiques qui existent vraisemblablement entre le génome  et l’environnement, soit entre la nature et la culture, elle nous montrera sans doute  à quel point le développement de l’être humain, plus que tout autre, se joue à  l’interface des facteurs endogènes et des facteurs exogènes.
o La « situation anthropologique fondamentale » et ses enjeux éthiques
La néoténie du nouveau-né humain – qui est à la fois physique et psychique – forme  le socle de ce que J. Laplanche6,7 a appelé la « situation anthropologue  fondamentale » pour désigner cette rencontre si particulière entre le bébé humain  et les adultes qui prennent soin de lui, rencontre qui du fait de l’inachèvement  premier du bébé se montre à la fois mutuelle et profondément dissymétrique  puisque le développement physique et surtout psychique de l’adulte humain, est  extrêmement en avance sur celui du bébé. 
Tout ceci ouvre donc sur la question ontologique importante de la liberté  développementale qui est peut-être, en partie, la nôtre. 
À la lumière de ce qui vient d’être dit, on sent bien, alors, que s’occuper d’un  nouveau-né et d’un très jeune enfant comporte des enjeux considérables. Ce n’est pas seulement une question de gentillesse ou d’humanité – ce qui est déjà  essentiel – mais c’est une véritable question développementale dans la mesure où  la qualité des soins apportés aux bébés, du fait de la néoténie humaine, de  l’épigénèse et de la plasticité cérébrale, va s’inscrire chez eux sur un double plan,  psychologique et cérébral (c’est-à-dire neurologique).
de la même manière, notamment en matière de synaptogénèse et de richesse  neuronale. 
Sans doute en va-t-il de même dans l’espèce humaine, et d’une manière peut-être  encore plus marquée du fait, précisément, de la néoténie qui lui est tout à fait  spécifique. 
Quoi qu’il en soit, c’est cette dimension développementale des soins apportés aux  tout-petits qui fait de l’approche piklérienne et des pratiques professionnelles de  l’Institut Pikler-Lóczy un enjeu considérable et un modèle d’éthique professionnelle  absolument remarquable et éminemment moderne. 
Une petite histoire de la pédagogie piklérienne et de l’institut Pikler-Lóczy

Pikler-Lóczy
* L’Institut Pikler-Lóczy a été fondé à Budapest en 1946 par la pédiatre Emmi Pikler (1902-1984), au carrefour des différents courants de pensée pédiatrique,  psychanalytique et pédagogique, dans le but d’accueillir de jeunes enfants  rescapés de la tourmente qui s’était abattue en Europe à l’occasion de la seconde  guerre mondiale. 
Avant la guerre, Emmi Pikler allait dans les familles pour faire valoir ses intuitions  très avant-gardistes quant au développement de l’enfant. 
A la fin de la deuxième guerre mondiale, alors que Budapest était en ruine comme  d’autres capitales et villes européennes, Emmi Pikler a été bouleversée de voir de  tout-petits enfants rescapés de la tourmente et elle a demandé à l’état hongrois un  lieu pour les accueillir et leur permettre non seulement de survivre physiquement  mais aussi de pouvoir se construire comme des personnes dignes de ce nom et  sans mépris pour elles-mêmes. 
Certains de ces enfants étaient littéralement privés d’histoire, sans prénom, sans  nom, privés de parents pour des raisons diverses et sans récit possible de ce qu’ils  avaient vécu. 
Les équipes de Lóczy ont alors pu mesurer à quel point il est difficile de s’occuper  d’enfants dont l’on ne sait rien, et elles ont ainsi développé une remarquable professionnalisation des soins qui a fait école depuis, dans le monde entier, et  notamment en France grâce aux travaux de M. David et G. Appell8. Plus de 4000 enfants ont été accueillis dans la pouponnière de l’Institut Pikler Lóczy depuis la fondation de celle-ci en 1946 jusqu’à 2011 date de sa fermeture. Les enfants accueillis pouvaient y rester jusqu’à l’âge de six ans avant d’être  adoptés, placés dans des familles d’accueil ou dirigés, plus rarement, vers d’autres  institutions. 
Si celle-ci a aujourd’hui fermé ses portes, l’Institut Pikler-Lóczy demeure toutefois  un lieu de formation national et international extrêmement vivant, grâce au  développement d’autres activités cliniques telles que des crèches, des  consultations, des groupes parents/enfants … 
Par ailleurs, l’association Pikler International regroupe aujourd’hui plus d’une  dizaine d’associations Pikler-Lóczy nationales dans le but de favoriser les échanges  et les mises en perspective, et de continuer porter des objectifs de diffusion et de  transmission. 
Emmi Pikler qui, avant la guerre, allait dans les familles pour tenter de rallier les  parents à ses conceptions novatrices du développement de l’enfant, a ainsi pu,  ensuite, mettre celles-ci en œuvre dans le cadre d’une collectivité au  fonctionnement spécifiquement aménagé à l’intention des enfants accueillis. 
On sait que les fondamentaux de l’approche piklérienne sont notamment les  suivants : respect des rythmes de développement propres à chaque enfant, respect  de la liberté motrice de l’enfant (condition de son activité autonome et précurseur  de sa future liberté de mouvement psychique soit de sa liberté de penser), et  respect du rôle de l’enfant en tant que co-acteur de son propre développement. 
Le respect de l’enfant et la confiance que celui-peut faire aux adultes forment  évidemment le vif de cette vision des choses. 
* Les intuitions créatives d’Emmi Pikler dues à son regard avant-gardiste sur le  développement des très jeunes enfants, résonne aujourd’hui de manière étroite  avec le champ actuel des connaissances en la matière. 
En effet, l’approche piklérienne n’est pas un champ clos de fondamentaux isolés de  leur contexte. 
Les données cliniques, pédagogiques, pratiques et théoriques qui fondent  l’approche piklérienne et les travaux de l’Institut Pikler-Lóczy sont compatibles à la  fois avec les acquis des neurosciences, de la réflexion psychanalytique et de la  théorie de l’attachement.

Maria Montessori
Maria Montessori (1870-1952) fut la première italienne diplômée de médecine. En  janvier 1907, elle créa la « Casa dei Bambini » à San Lorenzo, un quartier industriel  pauvre de Rome. 
Elle a étudié les besoins de l’enfant du premier âge à l’adolescence. Elle en a tiré une analyse et un programme éducatif conçu de façon scientifique  qui sont devenus une source d’inspiration de premier ordre dans l’éducation de la  petite enfance. 
Les principes éducatifs de la méthode Montessori sont fondés sur : • le respect de l’enfant en tant qu’individu 
• un développement équilibré sur les plans intellectuel, physique, émotionnel  et spirituel 
• un environnement de « classe ouverte » adapté, se caractérisant par le  recours à des matériaux tactiles multidisciplinaires conçus de façon  scientifique 
• la valorisation de la coopération plutôt que de la concurrence • la recherche de l’harmonie par la grâce et la courtoisie 
Pour Maria Montessori, l’éducation ne saurait en effet se limiter à l’acquisition de  savoirs variés dans différents domaines de la culture. 
Elle considère que l’éducation va au-delà de l’instruction et doit avoir des  résonances dans la vie pratique. 
D’où un enseignement fondé sur une psychologie respectant l’enfant en tant  qu’individu afin de susciter chez lui le plaisir naturel de la découverte et d’utiliser sa  motivation propre en faisant de l’apprentissage une expérience enrichissante. Le médecin français Jean Itard (1775-1838) et son élève Édouard Seguin (1812-1880)  comptent parmi les principales sources d’inspiration du docteur Montessori. Itard devint célèbre après la publication de son étude sur « l’enfant sauvage de  l’Aveyron » où il développait notamment l’idée de phases spécifiques de croissance  chez l’homme. 
Seguin créa quant à lui des activités physiques et sensorielles spécifiques visant à  stimuler les processus mentaux chez l’enfant. 
Leurs travaux inspirèrent Maria Montessori qui développa à son tour une théorie  mettant en rapport le développement physiologique et neurologique de l’enfant. Les idées de maria Montessori encouragent l’harmonie par la grâce, la courtoisie,  l’autonomie et la confiance en soi. 
Cela explique pourquoi elles exercent encore aujourd’hui une grande influence sur les familles, les éducateurs et les gouvernements du monde entier.
o Le pari des pédagogies actives 
* Le pari piklérien consiste à tenter de laisser toute sa part active au bébé en dépit  de sa néoténie première. 
Ceci repose sur la confiance absolue que l’adulte éprouve à l’égard des ressources  de l’enfant et sur l’importance de sa présence indirecte. 
En effet, la perspective piklérienne consiste à faire en sorte que l’adulte  n’intervienne pas directement pour faire les choses à la place de l’enfant (fût-ce  pour lui venir en aide) mais qu’il le laisse faire ses expériences dans un cadre  évidemment sécure et pensé à son intention. 
Il ne s’agit en rien de laisser l’enfant seul, mais de le laisser faire par lui-même en  présence d’un adulte bienveillant, attentif, étayant et qui s’émerveille de voir  l’enfant découvrir ses propres compétences et les actualiser en aptitudes, ce qui est  un besoin fondamental de l’enfant. 
On voit aisément les correspondances qui existent entre cette attitude  pédagogique et le développement de ce que D.W. Winnicott10 a appelé la capacité  d’être seul à côté de la mère ou de l’adulte. 
Cette approche piklérienne du développement précoce fait ainsi une grande différence entre les premières acquisitions du bébé (la tenue assise, la marche, la  propreté, le « je », le « oui » ... et même le langage) qui ne sont pas des  apprentissages au sens strict mais des émergences, et les apprentissages ultérieurs  qui, eux, seront le fait d’un apport extérieur. 
Les acquisitions (notamment psychomotrices) semblent d’autant plus stables,  ancrées et harmonieuses qu’elles ont été faites en leur temps, sans forcing et sans  anticipation anxieuse de la part de l’adulte. 
Ce pari piklérien vise finalement au renforcement des assises narcissiques de  l’enfant par le plaisir de l’enfant d’être co-acteur de son propre développement et  non pas un sujet passivé par les apprentissages externes. 
* Le pari Montessorien reconnait de grandes convergences avec le pari piklérien  tout en concernant les enfants de plus de trois ans. 
L’idée est de montrer à l’enfant le but à atteindre tout en le laissant libre de  découvrir ses propres ressources, ses propres compétences et son propre  cheminement. 
Il s’agit donc d’une attitude de confiance envers les potentialités de l’enfant aussi  petit et immature soit-il encore.
La présence étayante et respectueuse de l’adulte renforce les assises narcissiques  de l’enfant et l’estime qu’il a de lui-même. 
La pédagogie montessorienne connait un grand succès mondial ce qui l’expose à  une certain nombre de répliques non agréées et plus ou moins affadissantes.
Les liens d’Emmi Pikler et de la première génération de professionnelles qui lui a  succédé (Anna Tardos, Eva Kallo, Maria Vincze et Judit Falk notamment11) avec la  psychanalyse, sont assez flous et relativement mal connus. 
Toutes s’intéressaient à la psychanalyse qui avait été florissante à Budapest avant  la deuxième guerre mondiale mais qui avait été ensuite contrainte de se poursuivre  et de se développer de manière plus clandestine. 
Maria Vincze était la fille du psychanalyste hongrois Imre Hermann dont le concept  « d’instinct de cramponnement » a été indubitablement un précurseur  épistémologique de la théorie de l’attachement. 
On ignore si ces différentes fondatrices de l’approche piklérienne ont fait ou non  l’expérience d’une cure analytique personnelle, mais il est certain que la  psychanalyse les intéressait et qu’un groupe de travail se réunissait ainsi  régulièrement pour penser les liens entre l’observation piklérienne et les travaux  d’I. Hermann. 
Quoi qu’il en soit, il s’agit ici de souligner er que l’activité autonome qui découle de  la liberté motrice des bébés préconisée par l’approche piklérienne, a trouvé un écho  ultérieur dans le concept de « pulsion d’introjection » décrite par Maria Torok. Les conceptions M. Torok (1925-1998) sur le développement précoce rejoignent en  effet de manière très frappante les conceptions d’Emmi Pikler sur l’activité  autonome du bébé et celles de Maria Montessori sur les procédures  d’apprentissage scolaire. 
Première psychothérapeute à travailler en école maternelle en France dès 1954,  c’est en effet M. Torok qui a théorisé la « pulsion d’introjection ». M. Torok a beaucoup travaillé avec Nicolas Abraham et, en France, c’est Judith  Dupont et le groupe de traduction de la revue « le Coq-Héron » qui ont favorisé la  traduction et la diffusion des travaux de recherche de ces deux auteurs auxquels  deux dossiers du Coq-Héron, ont été consacrés en 200012 et en 200613. Les travaux de M. Torok ont été consigné dans des manuscrits encore inédits de  1953 et de 1959, mais dans Psychanalyse et Pédagogie14 en 1953, elle écrivait : « Tout ce que l'enfant vit et ressent dans son corps cherche une élaboration  expressive suivant les données de l'âge : dans des actes de motricité ou de pensée  (jeux, fantasmes « agis » ou verbalisés). L’importance de cette élaboration réside en  ce que le vécu du corps, insaisissable et anonyme, obtient par cette voie un nom  dans le sujet et devient, par conséquent, manipulable par son Moi. Ce dernier,  d'ailleurs, s'éveille en tant que Moi conscient précisément lors de l'élaboration  expressive des émois. Laisser libre cours à l'élaboration spontanée signifie  reconnaître la validité des vécus de l'enfant et lui permettre une prise de  conscience progressive de soi et de ses pouvoirs. » 
C'est par rapport aux vécus enfantins d'emblée insaisissables, car dénués de nom  et donc de socialisation, que M. Torok appellera ainsi la pédagogie à jouer un rôle  déterminant. 
L’éducation de l'enfant se fonde pour elle sur une relation pédagogique semblable  à celle qui résulte de la situation analytique : 
« Elle exclura toute coercition et toute moralisation : le pédagogue se borne, en  miroir fidèle, à renvoyer à l'enfant le jaillissement de son monde fantasmatique,  permettant ainsi une maturation spontanée de sa vie affective et une intégration  de ses désirs dans un moi social. »  
Si l'éducatrice s'abstient de toute prise de position et laisse se dégager, sans  préjugés, l'interrogation et le projet enfantins, son attitude aura pour effet  d'accueillir et de promouvoir l'expression et l'élaboration réflexive de tout contenu,  quel qu'il soit (par exemple, les questions dites difficiles sur la mort, la naissance, le  couple, la guerre …). 
De la méthode pédagogique préconisée par M. Torok surgira non pas une  transmission de mœurs, de savoirs ou de moyens de production mais « la liberté de  se donner un sens toujours nouveau ». 
Le pédagogue permettra à 1’enfant de se reconnaître progressivement comme  « l'auteur de ses propres démarches » ; l'enfant verra dès lors qu'il peut faire « jaillir  le monde de lui-même », et il deviendra, pour ainsi dire, la « source souveraine de  tous les sens ».  
Et ceci justement parce qu'il reçoit la possibilité de nommer, et ipso facto de  légitimer au sein du groupe social, chacun de ses vécus et ceux de son entourage.  Si l'enfant se découvre ainsi dans une autonomie créative, c'est qu'il prend  conscience de son pouvoir d'instituer et de destituer des réalités, des solutions  personnelles et intersubjectives toujours nouvelles.  
On pourrait dire que si, selon M. Torok, la pédagogie peut apprendre quelque chose  d'authentique à l'enfant, c'est bien la légitimité même de son désir d’introjecter,  soit le désir de se créer en harmonie avec les autres et les acquis de la civilisation. La psychanalyse interviendra seulement pour libérer les introjections, les  élaborations manquées, menacées, entravées ou assassinées. Il me semble qu’il y a là, sur le plan du monde interne et des représentations  mentales, une grande proximité avec les fondements des pédagogies actives selon  lesquelles l’éducateur n’est là que pour accompagner le mouvement de  découverte du monde, mouvement fondamentalement endogène et qui  appartient en propre à l’enfant.