Pr Bernard Golse, le 13 décembre 2025
Pr Bernard GOLSE, Président fondateur
L’amendement n°159 n’a pas été voté au Sénat mais la situation demeure extrêmement dangereuse pour une pédopsychiatrie dont la dimension humaine et humaniste est chaque jour un petit peu plus menacée.
L’Institut Contemporain de l’Enfance (ICE) ne peut et ne veut rester muet devant ce désastre annoncé et d’ores et déjà il déploie de nombreux efforts pour se faire entendre de nos décideurs politiques.
Un projet de Loi est en cours de réflexion pour que 54 centres dits « experts » soient intégrés au code de la santé publique ce qui appelle aujourd’hui une prise de position claire et nette.
Du point de vue de la simple déontologie médicale, cliver le diagnostic de la prise en charge est une erreur de fond, je n’ose pas dire fondamentale compte tenu du fait que ces centres experts sont justement une émanation de la fondation « Fondamental » dont chacun sait les objectifs beaucoup plus financiers que véritablement scientifiques qui la sous-tendent.
Le diagnostic dans le champ des troubles mentaux ne peut être envisagé indépendamment de la qualité et de la singularité de la rencontre entre le patient et le clinicien ce qui constitue à l’évidence le vif du soin psychique.
Pour un patient, être reçu par un soignant qui, une fois précisé le diagnostic, va s’engager dans la prise en charge ou dans l’aide à la mise en place de cette prise en charge n’a rien à voir avec le fait d’être reçu par un professionnel qui, une fois le diagnostic posé, va laisser le patient sur le trottoir se débrouiller tout seul dans un contexte où la pénurie de l’offre de soins est actuellement majeure !
Le diagnostic ne sera pas le même dans les deux cas, tant s’en faut et penser que les protocoles d’évaluation diagnostique sont comparables dans le champ de la médecine somatique et dans celui de la médecine de la psyché correspond à une grave erreur épistémologique.
Par ailleurs, si le professionnel qui fait le diagnostic est coupé de ceux qui assurent le soin, il est clair que le diagnostic initial ne sera jamais réinterrogé.
La notion de « centre expert » a peut-être aujourd’hui quelque chose de plus « bling-bling » que la notion de secteur mais ceci vaut en fait comme un authentique miroir aux alouettes.
Ils permettraient, nous dit-on, une « psychiatrie de précision » comme on parle d’une horlogerie de précision en sous-entendant implicitement que l’ensemble des cliniciens habituels ne seraient que des spécialistes du flou et du vague.
Quand on s’occupe de l’humain, il importe en réalité d’accepter une marge d’imprécision qui est, quoi qu’en pensent nos scientistes d’aujourd’hui, la condition même d’une éthique du soin et d’une éthique du sujet.
Les centres experts promettent en outre au gouvernement une économie de 18 milliards d’euros, promesse évidemment très alléchante alors même qu’aucune étude sérieuse et rigoureuse ne permet aujourd’hui d’affirmer de tels chiffres et que nous savons d’ores et déjà que la grande majorité des patients ayant consulté un centre expert n’y reviennent jamais.
Peut-on raisonnablement imaginer que ces centres experts seront en mesure d’endiguer la violence dans les banlieues et d’améliorer la protection de l’enfance si défaillante à l’heure actuelle ?
Enfin, comme l’a bien montré le rapport de la Cour des Comptes de 2023 sur l’offre de soins en pédopsychiatrie piloté par Mme Juliette Méadel et auquel j’ai participé en tant que médecin-expert1, le dispositif sectoriel que le monde entier nous a envié, doit demeurer la porte d’entrée principale du dispositif de soins pour les patients et tout particulièrement en pédopsychiatrie pour les enfants et pour leurs familles.
Ce dispositif sectoriel fondée dans les années soixante-dix forçait en effet l’admiration par ses ambitions démocratiques en vue d’une (pédo)psychiatrie de proximité, accessible, gratuite, généraliste et spécialisée, thérapeutique et préventive.
On ne voit pas très bien en raison de quoi ces ambitions seraient aujourd’hui démodées !
Les secteurs doivent certes être massivement redotés et requalifiés mais ils demeurent un trésor à préserver et toutes les plateformes de coordination et d’orientation doivent être placées sous leur responsabilité afin de ne pas cliver, je le redis, le diagnostic de la thérapeutique.
Si les centres experts devaient se développer, il faudrait donc évidemment qu’il en aille de même pour eux afin que les crédits qui leur seraient alloués ne le soient pas au détriment des secteurs.
Il est clair, finalement, que les centres experts sont en fait un pur produit du néolibéralisme pour lequel l’ennemi public n°1 est par nature l’inconscient et le conflit intrapsychique.
Le néolibéralisme se fonde par essence sur la concurrence interpersonnelle et le conflit intrapsychique risque toujours, à ses yeux, d’entraver la consommation et la production (B. Stiegle2).
La logique néolibérale est une logique de la saturation (tout avoir, tout savoir, tout pouvoir) alors que la logique du soin psychique est forcément une logique du manque, du creux et de l’écart dans lesquels se fonde la créativité.
L’ICE a précisément été créé pour promouvoir un soin (« to cure ») et un prendre-soin (« to care ») de qualité pour les bébés, pour les enfants et pour les adolescents ce qui implique nécessairement un accompagnement soigneux des professionnels qui ne sauraient être plus ou moins déshumanisés et réduits à de simples outils de soins.
Il est donc grand temps de se battre pour que ces valeurs vivent et survivent.
Le temps qui reste (P. Boucheron3) est court mais il existe.
Honte à ceux qui ne rêvent que de privatiser et de démanteler la psychiatrie publique.
À tous ceux-ci qui ne pensent qu’à la dévorer, on pourrait dire : « Bon appétit Messieurs, ô Ministres intègres » (Ruy Blas) mais il n’est pas encore exclu que vous vous y cassiez les dents !
Professeur Bernard Golse
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1https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-pedopsychiatrie
2B. Stiegler, Il faut s’adapter, Gallimard, Coll. « BRF essais », Paris, 2019
3P. Boucheron, Le temps qui reste, Le Seuil, Paris, 2023