Aujourd’hui, il est important de parler des psychopathologies au pluriel et non pas  de la psychopathologie au singulier
L’essentiel est de faire prévaloir dans le champ des troubles mentaux un modèle  polyfactoriel qui tienne compte à la fois des déterminants internes (endogènes) et  des déterminants externes (exogènes) du développement psychique et de ses  troubles. 
La vision des troubles mentaux en général – mais en particulier ceux de l’enfant et  de l’adolescent – se trouve en effet écartelée aujourd’hui entre deux pôles  diamétralement opposés. 
Autrement dit, soit ces troubles sont considérés comme de nature purement  endogène et quasi neurologique, soit ils sont considérés comme de nature  purement exogène, d’origine traumatique ou réactionnelle, et de ce fait la  pédopsychiatrie se voit aujourd’hui menacée d’un clivage entre une composante  biologique (ou neurobiologique) et une composante sociale (éventuellement  médico-sociale). 
Le défi de la psychopathologie (dans toutes ses composantes) est à l’inverse de  tenter de nouer, d’intriquer, de tresser ensemble les déterminants internes et les  déterminants externes de ces différents troubles afin de travailler à leur interface  et de pouvoir ainsi aboutir à un diagnostic structural et à une stratégie  thérapeutique spécifiques de chaque patient. 
Un médecin peut, hélas, aujourd’hui terminer ses études de médecine sans avoir  même entendu le terme de « psychopathologie » sauf s’il se destine à la psychiatrie  ou à la pédopsychiatrie … et encore, je n’en suis pas absolument certain ! La psychopathologie continue certes à être enseignée dans les facultés de  psychologie, mais il importe tout de même de souligner que ce concept de  psychopathologie est aujourd’hui en grand danger, comme s’il était définitivement  obsolète et à ranger, sans hésitation aucune, au rayon des accessoires démodés ! Ceci est plus que regrettable car, à bien y réfléchir, le concept de psychopathologie  demeure d’une modernité épistémologique impressionnante. 
La psychopathologie n’est pas seulement psychanalytique même si c’est celle-ci  qui est la plus ancienne et la plus approfondie à l’heure actuelle. 
Il existe également, on le sait désormais, une psychopathologie attachementiste,  une psychopathologie systémique, une psychopathologie cognitive, une  psychopathologie développementale et même une psychopathologie transculturelle, d’où la nécessité d’un véritable plaidoyer pour parler désormais des  psychopathologies au pluriel et non pas de la psychopathologie au singulier. Se référant par essence à un modèle polyfactoriel (inférentiel et fondé sur une  temporalité circulaire qui inclut les effets de l’après-coup), la psychopathologie  ménage par ailleurs tout naturellement en son sein une place pour une causalité  épigénétique dont l’avènement est d’ores et déjà prévisible dans des délais  relativement proches. 
Il est donc indispensable que nos collègues les plus jeunes et ceux qui sont encore  en cours de formation, puissent avoir accès à une démarche diagnostique  dynamique et structurale seule à même de pouvoir leur éviter une pratique  opératoire, monotone, purement descriptive, linéaire et finalement assez peu  créative. 
D’où l’importance de l’Association Européenne de Psychopathologie de l’Enfant et  de l’Adolescent (AEPEA) qui est une association scientifique dont l’objectif est de  valoriser l'axe psychopathologique de la pratique et de la réflexion théorique en  matière de psychologie et de psychiatrie du bébé, de l'enfant et de l'adolescent. 
Fondée en 1996 par Michel SOULÉ et Pierre FERRARI ainsi que par Graziella FAVA VIZZIELLO, elle vise à faire connaitre bien sûr les travaux les plus récents et les  avancées scientifiques dans le domaine de la psychopathologie du bébé, de  l'enfant et de l'adolescent, à promouvoir la recherche pluridisciplinaire,  internationale en matière en matière de psychopathologie, mais aussi à faciliter des  collaborations dans ce domaine. 
Elle rassemble une dizaine de sections nationales et son activité va croissante  comme le lecteur pourra aisément s’en rendre compte en consultant le site  internet : « aepea.org » La dimension psychopathologique comme une nécessité pour la (pédo)psychiatrie 
En 2014, G. STANGHELLINI, R. MATTHEW et B.R. BROOME, éditorialistes du British  Journal of Psychiatry1 - ce qui n’est pas rien ! – prenaient clairement position en  affirmant que la psychopathologie devrait constituer « le cœur de la psychiatrie »  et que son enseignement devrait être un passage obligé de la formation de tous  les professionnels de la santé mentale ainsi qu’un « élément-clef » partagé par les  cliniciens et les chercheurs dans ce domaine. 
Pour ces auteurs, ce primat de la psychopathologie s’impose pour « au moins six  raisons » : 
• La psychiatrie représente une discipline « hétérogène » et puisque  l’approche des professionnels est d’origine multiple (psychanalyse,  comportementalisme, neurosciences, sociologie …), il est donc indispensable  de pouvoir disposer d’un « terrain d’entente et d’un langage comparable ».  Pour des cliniciens aux conceptions théoriques variées, la psychopathologie est susceptible d’offrir un tel dénominateur commun permettant une  compréhension partagée des troubles mentaux 
• Le recours à la psychopathologie demeure « largement utile » en présence  de définitions des maladies mentales reposant sur des symptômes et des  « éprouvés singuliers subjectifs » et non sur des bases précises garanties par  les neurosciences 
• La psychopathologie peut être conçue comme un « pont » entre les sciences  humaines et la clinique, comme la « boîte à outils » de base donnant « un  sens à la souffrance psychique » 
• La psychiatrie abordant la « subjectivité humaine anormale », la  psychopathologie tente de définir ce qui est anormal et de saisir les éléments  de la vie psychique normaux dans un contexte de maladie mentale 
• La psychiatrie doit prendre soin d’un sujet en difficulté, « et non le juger, le  marginaliser, le punir ou le stigmatiser ». Dans cette perspective, la  psychopathologie fait précisément le lien entre la compréhension et la prise  en charge thérapeutique, en s’efforçant d’établir à cette fin une trame « à la  fois éthique et méthodologique » 
• La psychiatrie enfin cherche un moyen de rapprocher l’expérience subjective  individuelle du fonctionnement cérébral et la psychopathologie ouvre un  passage entre la compréhension et l’étiologie, pour la recherche et pour la  clinique. Une part au moins des difficultés existant actuellement pour établir  une psychiatrie étayée sur les neurosciences semble provenir d’une  « connaissance insuffisante de la psychopathologie » et de ce fait, un savoir  fondamental dans ce domaine constitue une « condition préalable » à une  démarche explicative à même de donner « une nouvelle impulsion à une  psychiatrie biologique ». 
Ces auteurs jugent donc nécessaire d’accorder une place centrale à la  psychopathologie afin de pouvoir « réaliser l’ambition » des psychiatres d’apporter  un éclaircissement sur les maladies mentales. 
Même si l’on pourrait discuter tel ou tel terme de cette déclaration utilement  tonitruante, il faut saluer le courage conceptuel de ses auteurs en opposition avec  la pensée unique du moment et, personnellement, je m’associe bien évidemment  dans réserve aucune à cette position qui me paraît aujourd’hui de plus en plus  vitale pour l’avenir de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie. 
Hors la psychopathologie, point de salut !